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Les chefs de chœur aussi s’expriment
(voir article précédent sur l’expression des choristes)
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Çà
on le savait !
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Je ne parle pas ici du temps de
la répétition mais du temps public ou politique : celui où le
chef de chœur tente de faire connaître son métier. À dire vrai un
métier totalement méconnu (« un batteur de mesure » !) ; parfois
par les choristes eux-mêmes qui ne voient que les apparences, la face émergée (si
l’on peut dire)… ; quant au public, il ne le voit le plus souvent que de
dos (et un peu sa tonsure lorsqu’il salue) – voire pas du tout puisque, quand le
chœur chante avec orchestre, son chef trépigne dans les coulisses.
*
Les
paradoxes du chef de chœur
par Pierre Calmelet (Choralies, le mag 5 – Octobre 2011)
« Il mène ses
troupes à la baguette et sait les conduire au succès en bon ordre et sans
prononcer un mot ; il fascine, il attire, on lui prête même parfois des
pouvoirs ; pourtant, il n’est ni empereur, ni roi, ni général… »
Chef de chœur et d’orchestre réputé, Pierre Calmelet
est régulièrement sollicité pour diriger et enseigner la direction de chœur,
notamment dans les plus grands conservatoires de notre pays. Il s’est vu
confier à plusieurs reprises la préparation aux C.A. et D.E. de Chant Choral.
Actuellement, outre son implication dans l’association chorale À Cœur Joie, il
est professeur au CRR de Boulogne-Billancourt et au Pôle d’Enseignement
Supérieur Paris-Sorbonne. Dans le cadre de son action pour faire vivre le
répertoire français dans l’hexagone et hors de nos frontières, il vient
d’obtenir le « Grand Prix de l’Académie du Disque Lyrique » pour
l’enregistrement du Requiem de Saint-Saëns à la tête du « Madrigal de Paris ».
Il ne faudrait pas réduire un chef à un simple batteur de
mesure ou à un technicien de la musique si habile soit-il. Son rôle est
complètement central : il est l’interface entre le compositeur dont il sert l’œuvre
et l’auditeur qui la reçoit ; c’est à travers le filtre de sa subjectivité
qu’une œuvre va être découverte, assimilée, interprétée, entendue, jugée.
Art complexe et subtil, la direction requiert de nombreuses
compétences techniques, musicales, pédagogiques et s’apparente au numéro d’un
funambule qui doit maintenir en permanence un juste équilibre entre des
paradoxes dont voici quelques exemples :
• Le chef a le droit d’avoir la tête dans les nuages, à
condition toutefois de savoir garder les pieds sur terre. Artiste
charismatique, soit, mais avec un solide sens des réalités et des qualités de
gestionnaire rigoureux.
• Magnifié et idéalisé par ses chanteurs, il doit en
permanence se défendre du narcissisme qui le guette…
• Son autorité doit être incontestable, mais il doit rester
humble, tant par rapport à la musique qu’il sert que vis-à-vis des musiciens
qu’il conduit.
• Son niveau d’exigence élevé, pour accéder à un plaisir
artistique plus intense, ne doit pas lui faire oublier les limites de ses
musiciens afin que le chant reste pour eux une expérience positive.
• L’énergie qu’il insuffle ne doit jamais aboutir à la
crispation et tonicité doit toujours rimer avec détente
Enfin, comment ignorer les paradoxes liés au chœur, seul «
instrument de musique » avec l’orchestre que l’on travaille « à la table » sans
pouvoir en jouer, et dont on ne produit le son ni par le souffle ni par le
toucher mais par la seule force de persuasion et quelques gestes ou mimiques
étranges !
Concernant le chœur, j’ai lu dans le mag la phrase suivante
: « C’est là que des gens ordinaires se réunissent pour devenir un être extraordinaire
dans lequel nous pouvons tous exceller et auquel nous pouvons tous appartenir
».
On ne pourrait mieux dire. Le chœur est présenté ici comme
un modèle harmonieux de société que les hommes politiques les plus imaginatifs
ne peuvent entrevoir, même dans leurs rêves les plus fous ! N’est-ce pas la
description d’une société idéale dans laquelle l’autorité exercée dans le
respect de chacun est librement consentie et permet à chaque choriste
d’exprimer le meilleur de lui-même en harmonie avec son voisin ?
Le tableau est un peu idéalisé, certes ; pourtant, je vous
l’assure, il y a chaque jour de nombreux endroits dans le monde où ce rêve
prend corps, où l’utopie devient réalité, par la magie du chant choral.
Au cœur de ce dispositif se trouve le chef. Avec humilité
et bienveillance, celui-ci partage son savoir avec des chanteurs qui l’ont
choisi pour guide. Il définit un projet artistique ambitieux et fédérateur,
puis entraîne ses choristes jusqu’au but.
Il est évident que plus ses compétences techniques,
musicales et psychologiques seront élevées, plus il aura le pouvoir de les
emmener loin dans la quête commune d’un idéal artistique, c’est pourquoi il ne
doit jamais cesser de se perfectionner. Depuis quelques années, À Cœur Joie propose une formule
particulièrement originale et intéressante de stages multi niveaux qui
permettent aux chefs de tous profils de faire le point sur leur pratique de la
direction, d’échanger entre eux et de recevoir des réponses concrètes et
personnalisées à leurs questions. À l’issue de ces sessions, ils repartent
parés d’un enthousiasme renouvelé et armés de nouveaux outils qui les rendent
plus performants avec leurs choristes.
En guise de conclusion, je tiens à témoigner du bonheur
quotidien que je retire de ma pratique de la direction. Dans une société en
perte de repères où le matérialisme est érigé en valeur suprême et où l’Humain
n’est plus toujours au coeur des préoccupations, le chant apporte une part de
rêve; je suis toujours frappé de la place qu’il occupe dans la vie des
choristes. Les répétitions et les concerts sont de petits îlots de Beau,
d’Harmonie, de dépassement de soi, des moments d’exception que nous, chefs,
avons le pouvoir de créer. C’est un privilège dont nous devons être conscients
et dont nous devons nous montrer dignes, par respect pour les chanteurs,
hommes, femmes ou enfants qui ont placé leur confiance en nous.
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