vendredi 3 janvier 2014

Des vœux pour nos choristes

Que pourrais-je souhaiter à mes choristes pour l’année qui vient ? Que pourrions-nous souhaiter à tous les choristes de toutes nos chorales ? Oh, les chorales sont nombreuses, mais elles portent parfois en elles beaucoup de fragilité, tant notre activité demande de patiente énergie…énergie qu’il n’est pas toujours si facile de mobiliser, et ceci quel que soit notre âge ! Alors voilà : je souhaite aux choristes et aux chefs de chœurs la patience et l’obstination !
Pour nous encourager en cela je reproduis ici quelques paroles de choristes recueillies par Michèle Lhopiteau-Dorfeuille et parues dans un texte écrit pour la revue L’Éducation Musicale qui a consacré un numéro spécial à « La Voix ». Nous pouvons en effet trouver dans ces franches paroles de bonnes raisons de poursuivre notre route au-delà de ses sinuosités et d’en découvrir chaque jour un peu plus la noblesse et la beauté.

Paroles de chef et de choristes amateurs

À l’âge de 32 ans, je suis passée du statut de choriste amateur passionnée à
celui de chef de chœur : 60 adultes musicalement très aguerris se sont en
effet retrouvés orphelins et il a bien fallu remplacer, un peu au pied levé, le
fondateur de l’Ensemble Vocal d’Abidjan rentré à Lille. Professeur
d’Éducation Musicale, je relevai le défi – non sans grandes appréhensions, la
première année. Une décision que je n’ai jamais regrettée car diriger des
chœurs amateurs aura donné une cohérence à une vie professionnelle qui
aurait été, sans cela, très décousue : amenée, du fait de la profession de mon
époux, à déménager en moyenne tous les cinq ans, j’ai partout, dès mon
arrivée - en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Texas, en Louisiane, en Gironde ou
en Dordogne - créé des chorales d’adultes ou repris la direction de groupes
déjà existants. Je suis donc parfaitement consciente, en tant que chef, de
tout ce que le chant choral m’a apporté. Au Tchad et en Côte d’Ivoire, mes
« chœurs internationaux » ont en outre permis à de jeunes Africains de vivre
et de partager quelque chose avec des expatriés européens et nord-américains
– qui ont généralement tendance à rester dans leur « bulle dorée » et à ne
fréquenter que très rarement les autochtones.
La participation à nos concerts de chanteuses et de chanteurs africains
professionnels, que mes choristes accompagnèrent dans quelques refrains
polyphoniques, fut d’ailleurs un atout considérable – et sans doute l’un de
mes souvenirs musicaux les plus riches.
Mais pour parler « de l’intérieur » du chant choral amateur, j’ai préféré
donner la parole à mes choristes actuels : ceux de mon ensemble vocal
bordelais « Hémiole », ceux de « Chantemonde », le chœur que j’ai lancé en
Dordogne en septembre 2006 et enfin à ceux du « Cantou », le club du
troisième âge de Bergerac dont je m’occupe depuis janvier 2010. Et à
d’autres qui ne chantent pas chez moi mais qui ont eu envie de s’exprimer
sur le sujet.
Michèle Lhopiteau-Dorfeuille

Petit florilège commenté

Pour ma part, étant donné les aléas auxquels j’ai été confronté (problèmes
de santé depuis 11 ans, préretraite forcée à 54 ans), je me suis accroché à la
seule occupation « physique » qui me libère un tant soit peu le corps et
l'esprit ! Le chant choral m'a permis de garder une vie sociale
indispensable au moral, de maintenir une activité régulière faite de
découvertes et d'échanges, de défendre des projets liés à la musique, de
découvrir des partitions inconnues et d’approfondir ma capacité à déchiffrer.
(Régis, 59 ans, Cadre supérieur, préretraité)

Ce témoignage, s’il parle bien sûr du plaisir de chanter, fait apparaître des
notions de travail et d’effort - pour en souligner les charmes mais aussi les
limites : il est clair qu’un choriste amateur exerçant une activité
professionnelle (et dans le monde actuel ou bien on est chômeur, ou bien on
croule sous la tâche), ne peut emmagasiner autant de musique qu’un choriste
dont chanter est le métier. Au chef de chœur, toujours un peu boulimique (et
je sais de quoi je parle), d’en tenir compte en bâtissant ses programmes.

Vous nous avez dit en juin dernier que nous avions « fait des progrès depuis
le mois de janvier ». Vous ne pouvez pas comprendre ce que cela signifie,
pour des gens de notre âge, de s’entendre dire qu’on a « fait des progrès » ;
nous qui, un peu plus chaque jour, voyons diminuer nos forces et nos
champs d’activités. Chanter, ce n’est que du bonheur et vous n’avez pas le
droit de nous lâcher maintenant.
(Marie, enseignante à la retraite, 91 ans)

C’est ce petit mot qui m’a décidée, fin juin 2010, à garder la direction d’un
chœur mixte du troisième âge que je ne devais, au départ, dépanner que pour
six mois - à la suite de la grave maladie de son chef (âgée elle-même de
87 ans). Car c’était tout à fait vrai que ce groupe, qui existe depuis des
années, avait fait des progrès vocaux spectaculaires avec de simples
exercices qui avaient remis les voix « à la bonne place ».
À un âge où les activités sportives deviennent problématiques, chanter reste
la seule option pour qui désire appartenir à un groupe actif ; une option dont
je ne pouvais effectivement pas les priver, les chefs de chœur libres dans la
journée n’étant pas pléthore en Dordogne. Et les sourires ravis - j’ai envie
de dire enfantins - de ces 40 anciens, au cours de répétitions où presque
personne ne manque, me font finalement du bien à moi aussi qui avais si
peur du grand âge. C’est certes un surcroît de travail que je n’avais pas
prévu, mais surtout une situation « gagnant gagnant ».

Le chant choral me permet d'épanouir ma voix en même temps que mon
esprit : petite pierre d'un édifice qui nous dépasse - construction lente et
progressive, parfois miraculeuse ! -, d'une harmonie qui nous transporte
tous au-delà de nos différences, dans une même énergie. Il me fait oublier
les tracas de la vie, comme un « bruit de fond » salutaire qui peut
m'accompagner toute la journée... et même une partie de la nuit ! La voix
est un élément tellement intime et à la fois social, qui ne triche pas et va
droit au cœur. En outre nous rencontrons ainsi « de l'intérieur » des
compositeurs ou des œuvres parfois méconnues, faisant de nous des
passeurs, en quelque sorte, à notre humble échelle.
(Emmanuelle, institutrice, 46 ans)

Motivations et plaisir de chanter, demande-t-elle ? Quai de la Garonne ce
matin, marée montante, forte, agitée, amazonienne dans la brume qu'un
soleil pâle déjà haut tente de déchirer. Et dans les oreilles, le Requiem de
Mozart chanté à (presque) tue-tête. C'était celui de Mozart mais Fauré
aurait tout aussi bien fait l'affaire. Un moment furtif proche du bonheur et
dont l'onde de chaleur se prolonge doucement sur le reste de la journée.
(Jean-François, journaliste & grand reporter, 60 ans)

Chaque mardi soir de l’année scolaire, emprunter la même route, par tous
les temps, sinueuse et étroite, par monts et par bois, au risque de percuter
un chevreuil ou un sanglier, seulement pour le plaisir de chanter ensemble.
Souvent fatigué par une longue journée de travail, combien de fois il m’est
arrivé d’avoir envie de céder à la paresse, mais chaque répétition m’a
procuré le même bienfait salutaire, un peu comparable à un entraînement
sportif. L’effort fourni est toujours gratifiant et je suis presque toujours
ressorti de répétition plus en forme que deux heures auparavant. C’est sans
doute cet état de bien-être, cette poussée d’adrénaline hebdomadaire qui
justifie autant d’investissement personnel, pour être assidu, pour mobiliser
une énergie intellectuelle peu disponible en fin de journée afin de déchiffrer
une partition parfois ardue ou pour caler une prosodie dans une langue qui
ne va pas forcément de soi.
Je me suis souvent demandé s’il n’y avait pas une sorte de conduite
régressive chez le choriste de base dans l’acceptation de règles qui
rappellent celles de l’école dans l’assiduité, la ponctualité, le respect du
silence, de l’écoute des autres, la concentration, l’autorité bienveillante de
la chef de chœur…
Chanter dans un groupe, pour un adulte, c’est réactiver ses souvenirs de
solfège, comprendre l’architecture d’une partition, être sensible au propos
de l’artiste qui l’a composée, au contexte de création, exprimer des
sentiments par la modulation de sensations à transmettre au public, donner
du sens à une œuvre quelquefois oubliée ou dont les pages ont jauni.
Faire partie d’un ensemble vocal, c’est aussi se mettre en accord avec les
autres, avec ceux qu’on estime, comme avec ceux qu’on connaît beaucoup
moins ; c’est livrer un peu de soi à l’écoute des autres. Quoi de plus intime
que la voix ? Elle dit tout sur soi, que ce soit la voix parlée ou la voix
chantée. On pourrait presque se livrer à une étude morpho psychologique de
la voix humaine tant elle est révélatrice de notre énergie et de nos pulsions.
« Come, come ye sons of art, come, come away. Tune all your voices and
instruments play, to celebrate this triumphant day ». Cette citation extraite
d’une partition de Purcell résume à elle seule l’intérêt que l’on peut trouver
à faire partie d’un chœur. C’est cette communication interpersonnelle, cette
vibration commune qu’on vient rechercher une fois par semaine et qui nous
manque lorsqu’un empêchement nous prive de ce moment de partage.
Quatre voix, quatre tessitures, quatre lignes mélodiques qui se complètent et
s’interpénètrent pour révéler une harmonie dont seuls le compositeur et le
chef de chœur peuvent profiter pleinement, mais peut-être aussi quelques
initiés capables d’entendre tous les sons… Le plaisir est à son comble
quand, maîtrisant quelque peu l’œuvre, mélangés, répartis dans la salle de
répétition, on défend sa ligne mélodique en se calant sur celle,
complémentaire, de ses voisins proches, cherchant du fond de l’âme, le
soutien de ses confrères dispersés aux quatre coins, mais finalement
tellement proches de soi par le son diffusé en commun. Ce mécanisme
d’ajustements réciproques constitue un véritable exercice cérébral de
communication.
Ainsi le plaisir du partage vocal est-il reproductible de concert en concert,
augmentant chaque fois la confiance en soi et l’assurance de transmettre
toute la palette de ce qui relève de l’émotion, à un public hétéroclite, en
toute simplicité. Alors dans ces conditions, comment se passer du chant
choral, des rencontres qu’il procure, des instants de convivialité au-delà du
plaisir incommensurable de l’art des sons ? Sans doute la musique partagée
avec conviction nous rend-elle plus forts et plus sensibles à la fois. C’est
peut-être à cette école que l’on renforce les liens qui nous permettent de
devenir à chaque séance de chant, un peu plus des êtres humains…
(Philippe, professeur d’arts plastiques, 45 ans)
Je crois que tout est dit.

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