Que pourrais-je souhaiter à mes choristes pour l’année
qui vient ? Que pourrions-nous souhaiter à tous les choristes de toutes nos
chorales ? Oh, les chorales sont nombreuses, mais elles portent parfois
en elles beaucoup de fragilité, tant notre activité demande de patiente énergie…énergie
qu’il n’est pas toujours si facile de mobiliser, et ceci quel que soit notre âge ! Alors voilà : je souhaite aux
choristes et aux chefs de chœurs la
patience et l’obstination !
Pour nous encourager en cela je reproduis ici
quelques paroles de choristes recueillies par Michèle Lhopiteau-Dorfeuille et parues
dans un texte écrit pour la revue L’Éducation
Musicale qui a consacré un numéro spécial à « La Voix ». Nous pouvons en
effet trouver dans ces franches paroles de bonnes raisons de poursuivre notre
route au-delà de ses sinuosités et d’en découvrir chaque jour un peu plus la
noblesse et la beauté.
Paroles
de chef et de choristes amateurs
À l’âge de 32 ans, je suis passée du statut de
choriste amateur passionnée à
celui de chef de chœur : 60 adultes musicalement très
aguerris se sont en
effet retrouvés orphelins et il a bien fallu
remplacer, un peu au pied levé, le
fondateur de l’Ensemble Vocal d’Abidjan rentré à
Lille. Professeur
d’Éducation Musicale, je relevai le défi – non sans
grandes appréhensions, la
première année. Une décision que je n’ai jamais
regrettée car diriger des
chœurs amateurs aura donné une cohérence à une vie
professionnelle qui
aurait été, sans cela, très décousue : amenée, du fait
de la profession de mon
époux, à déménager en moyenne tous les cinq ans, j’ai
partout, dès mon
arrivée - en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Texas, en
Louisiane, en Gironde ou
en Dordogne - créé des chorales d’adultes ou repris la
direction de groupes
déjà existants. Je suis donc parfaitement consciente,
en tant que chef, de
tout ce que le chant choral m’a apporté. Au Tchad et
en Côte d’Ivoire, mes
« chœurs internationaux » ont en outre permis à de jeunes
Africains de vivre
et de partager quelque chose avec des expatriés
européens et nord-américains
– qui ont généralement tendance à rester dans leur «
bulle dorée » et à ne
fréquenter que très rarement les autochtones.
La participation à nos concerts de chanteuses et de
chanteurs africains
professionnels, que mes choristes accompagnèrent dans
quelques refrains
polyphoniques, fut d’ailleurs un atout considérable –
et sans doute l’un de
mes souvenirs musicaux les plus riches.
Mais pour parler « de l’intérieur » du chant choral
amateur, j’ai préféré
donner la parole à mes choristes actuels : ceux de mon
ensemble vocal
bordelais « Hémiole », ceux de « Chantemonde », le chœur
que j’ai lancé en
Dordogne en septembre 2006 et enfin à ceux du « Cantou
», le club du
troisième âge de Bergerac dont je m’occupe depuis
janvier 2010. Et à
d’autres qui ne chantent pas chez moi mais qui ont eu
envie de s’exprimer
sur le sujet.
Michèle
Lhopiteau-Dorfeuille
Petit
florilège commenté
Pour ma part, étant donné les aléas auxquels j’ai été
confronté (problèmes
de santé depuis 11 ans, préretraite forcée à 54 ans),
je me suis accroché à la
seule occupation « physique » qui me libère un tant soit peu le corps et
l'esprit ! Le chant choral m'a permis de garder une
vie sociale
indispensable au moral, de maintenir une activité
régulière faite de
découvertes et d'échanges, de défendre des projets
liés à la musique, de
découvrir des partitions inconnues et d’approfondir ma
capacité à déchiffrer.
(Régis, 59 ans, Cadre
supérieur, préretraité)
Ce témoignage, s’il parle bien sûr du plaisir de
chanter, fait apparaître des
notions de travail et d’effort - pour en souligner les
charmes mais aussi les
limites : il est clair qu’un choriste amateur exerçant
une activité
professionnelle (et dans le monde actuel ou bien on
est chômeur, ou bien on
croule sous la tâche), ne peut emmagasiner autant de
musique qu’un choriste
dont chanter est le métier. Au chef de chœur, toujours
un peu boulimique (et
je sais de quoi je parle), d’en tenir compte en
bâtissant ses programmes.
Vous nous avez dit en juin dernier que nous avions « fait des progrès depuis
le mois de janvier ». Vous ne pouvez pas comprendre ce que cela signifie,
pour des gens de notre âge, de s’entendre dire qu’on a
« fait des progrès » ;
nous qui, un peu plus chaque jour, voyons diminuer nos
forces et nos
champs d’activités. Chanter, ce n’est que du bonheur
et vous n’avez pas le
droit de nous lâcher maintenant.
(Marie, enseignante à
la retraite, 91 ans)
C’est ce petit mot qui m’a décidée, fin juin 2010, à
garder la direction d’un
chœur mixte du troisième âge que je ne devais, au
départ, dépanner que pour
six mois - à la suite de la grave maladie de son chef
(âgée elle-même de
87 ans). Car c’était tout à fait vrai que ce groupe,
qui existe depuis des
années, avait fait des progrès vocaux spectaculaires
avec de simples
exercices qui avaient remis les voix « à la bonne
place ».
À un âge où les activités sportives deviennent
problématiques, chanter reste
la seule option pour qui désire appartenir à un groupe
actif ; une option dont
je ne pouvais effectivement pas les priver, les chefs
de chœur libres dans la
journée n’étant pas pléthore en Dordogne. Et les
sourires ravis - j’ai envie
de dire enfantins - de ces 40 anciens, au cours de
répétitions où presque
personne ne manque, me font finalement du bien à moi
aussi qui avais si
peur du grand âge. C’est certes un surcroît de travail
que je n’avais pas
prévu, mais surtout une situation « gagnant gagnant ».
Le chant choral me permet d'épanouir ma voix en même
temps que mon
esprit : petite pierre d'un édifice qui nous dépasse -
construction lente et
progressive, parfois miraculeuse ! -, d'une harmonie
qui nous transporte
tous au-delà de nos différences, dans une même
énergie. Il me fait oublier
les tracas de la vie, comme un « bruit de fond » salutaire qui peut
m'accompagner toute la journée... et même une partie
de la nuit ! La voix
est un élément tellement intime et à la fois social,
qui ne triche pas et va
droit au cœur. En outre nous rencontrons ainsi « de l'intérieur » des
compositeurs ou des œuvres parfois méconnues, faisant
de nous des
passeurs, en quelque sorte, à notre humble échelle.
(Emmanuelle,
institutrice, 46 ans)
Motivations et plaisir de chanter, demande-t-elle ?
Quai de la Garonne ce
matin, marée montante, forte, agitée, amazonienne dans
la brume qu'un
soleil pâle déjà haut tente de déchirer. Et dans les
oreilles, le Requiem de
Mozart chanté à (presque) tue-tête. C'était celui de
Mozart mais Fauré
aurait tout aussi bien fait l'affaire. Un moment
furtif proche du bonheur et
dont l'onde de chaleur se prolonge doucement sur le
reste de la journée.
(Jean-François,
journaliste & grand reporter, 60 ans)
Chaque mardi soir de l’année scolaire, emprunter la
même route, par tous
les temps, sinueuse et étroite, par monts et par bois,
au risque de percuter
un chevreuil ou un sanglier, seulement pour le plaisir
de chanter ensemble.
Souvent fatigué par une longue journée de travail,
combien de fois il m’est
arrivé d’avoir envie de céder à la paresse, mais
chaque répétition m’a
procuré le même bienfait salutaire, un peu comparable
à un entraînement
sportif. L’effort fourni est toujours gratifiant et je
suis presque toujours
ressorti de répétition plus en forme que deux heures
auparavant. C’est sans
doute cet état de bien-être, cette poussée d’adrénaline
hebdomadaire qui
justifie autant d’investissement personnel, pour être
assidu, pour mobiliser
une énergie intellectuelle peu disponible en fin de
journée afin de déchiffrer
une partition parfois ardue ou pour caler une prosodie
dans une langue qui
ne va pas forcément de soi.
Je me suis souvent demandé s’il n’y avait pas une
sorte de conduite
régressive chez le choriste de base dans l’acceptation
de règles qui
rappellent celles de l’école dans l’assiduité, la
ponctualité, le respect du
silence, de l’écoute des autres, la concentration, l’autorité
bienveillante de
la chef de chœur…
Chanter dans un groupe, pour un adulte, c’est
réactiver ses souvenirs de
solfège, comprendre l’architecture d’une partition,
être sensible au propos
de l’artiste qui l’a composée, au contexte de
création, exprimer des
sentiments par la modulation de sensations à
transmettre au public, donner
du sens à une œuvre quelquefois oubliée ou dont les
pages ont jauni.
Faire partie d’un ensemble vocal, c’est aussi se
mettre en accord avec les
autres, avec ceux qu’on estime, comme avec ceux qu’on
connaît beaucoup
moins ; c’est livrer un peu de soi à l’écoute des
autres. Quoi de plus intime
que la voix ? Elle dit tout sur soi, que ce soit la
voix parlée ou la voix
chantée. On pourrait presque se livrer à une étude morpho
psychologique de
la voix humaine tant elle est révélatrice de notre
énergie et de nos pulsions.
« Come, come ye sons of art, come, come away. Tune all
your voices and
instruments play, to celebrate this triumphant day ».
Cette citation extraite
d’une partition de Purcell résume à elle seule l’intérêt
que l’on peut trouver
à faire partie d’un chœur. C’est cette communication
interpersonnelle, cette
vibration commune qu’on vient rechercher une fois par
semaine et qui nous
manque lorsqu’un empêchement nous prive de ce moment
de partage.
Quatre voix, quatre tessitures, quatre lignes
mélodiques qui se complètent et
s’interpénètrent pour révéler une harmonie dont seuls
le compositeur et le
chef de chœur peuvent profiter pleinement, mais
peut-être aussi quelques
initiés capables d’entendre tous les sons… Le plaisir
est à son comble
quand, maîtrisant quelque peu l’œuvre, mélangés,
répartis dans la salle de
répétition, on défend sa ligne mélodique en se calant
sur celle,
complémentaire, de ses voisins proches, cherchant du
fond de l’âme, le
soutien de ses confrères dispersés aux quatre coins,
mais finalement
tellement proches de soi par le son diffusé en commun.
Ce mécanisme
d’ajustements réciproques constitue un véritable
exercice cérébral de
communication.
Ainsi le plaisir du partage vocal est-il reproductible
de concert en concert,
augmentant chaque fois la confiance en soi et l’assurance
de transmettre
toute la palette de ce qui relève de l’émotion, à un
public hétéroclite, en
toute simplicité. Alors dans ces conditions, comment
se passer du chant
choral, des rencontres qu’il procure, des instants de
convivialité au-delà du
plaisir incommensurable de l’art des sons ? Sans doute
la musique partagée
avec conviction nous rend-elle plus forts et plus
sensibles à la fois. C’est
peut-être à cette école que l’on renforce les liens
qui nous permettent de
devenir à chaque séance de chant, un peu plus des
êtres humains…
(Philippe, professeur
d’arts plastiques, 45 ans)
Je crois que tout est dit.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.