Par Robert Ingari, professeur agrégé à l’Université de Sherbrooke au
Québec.
in Anacrusis, Volume 31 No.2 Spring /
Printemps 2013
Anacrusis : Revue de
l’Association des Communautés Chorales Canadiennes (ACCC)
Cet
article intéressera plutôt les chefs de chœur ; mais pourquoi pas aussi
des choristes curieux de savoir comment le chef de chœur prépare et gère sa
répétition.
La répétition efficace
Qu’est-ce qu’une répétition efficace? Aux États-Unis, là où je
suis né et où j’ai fait mes études, nous avions une pléthore de ressources à ce
sujet : des livres et des livres qui abordaient les techniques de répétition de
chant choral. Moi-même, je donne des cours intitulés Techniques de
direction et de répétition
dans le cadre de la maîtrise en direction chorale à l’Université de Sherbrooke,
au Québec.
Mais quant à moi, la capacité à décortiquer une œuvre afin que
chaque choriste comprenne les demandes énoncées par le compositeur doit être à
la base des méthodes d’enseignement que choisira le chef. Et le choix de ces
méthodes lui revient à lui seul. Un chœur a une période limitée de répétitions
pour préparer un concert. Alors, son chef aura le grand défi de déterminer
comment il arrivera à préparer toutes les œuvres, en répétition, selon ses
propres objectifs et les demandes du compositeur. C’est là où on pourra
constater le niveau d’expertise d’un chef ; car c’est dans l’efficacité des
choix du chef que se trouve son génie.
Peut-être est-ce aussi là où on lui demande le plus de faire appel
à son sens de l’inventivité et de l’imaginaire ? La question suivante devrait
faire partie de la conversation intérieure quotidienne du chef : « Comment
pourrais-je susciter une réaction sonore qui rejoigne le plus possible le son
que j’ai à l’esprit ? »
Cette question vise à déclencher une série d’exercices efficaces
et appropriés pour résoudre les problèmes rencontrés en répétition.
J’aborderai ci-dessous mon approche envers la répétition de
chant choral et quelques-unes des méthodes qui me sont utiles dans mes
répétitions quotidiennes.
D’abord, le chef de chœur doit écouter l’ensemble qu’il dirige.
Le son qu’un chœur produira à toutes les étapes du processus d’apprentissage
est l’élément déterminant de l’ordre dans lequel le chef abordera la mise en place
d’une œuvre chorale. Depuis 23 ans de direction de chœurs universitaires et
amateurs, c’est le son du chœur qui déterminera l’ordre d’étapes que je
choisirai dans la préparation d’une œuvre. Mes plans de répétition ne sont que
des esquisses qui exposeront les grandes lignes que je suivrai durant ma
répétition. C’est ce que j’entends en répétition qui fera que je réagisse d’une
manière ou d’une autre. La direction chorale est essentiellement un art
pédagogique. Même avec un ensemble avancé, l’enseignement est au cœur du métier
d’un chef de chœur. Et même une œuvre qui semble trop difficile pour un
ensemble pourrait faire partie de son répertoire si le chef de chœur possède un
sens raffiné de l’écoute ainsi que les outils nécessaires pour la décortiquer avec
ses choristes.
Après avoir étudié la partition en profondeur, le chef arrivera
à la répétition avec non seulement un sens global de l’œuvre, mais aussi avec
un son idéal à l’esprit pour chacune des sections ou des phrases de l’œuvre.
C’est lors de l’étape d’écoute du son du chœur, lorsque les choristes lisent
une partition pour la première ou la deuxième fois, que la plupart des
décisions du chef seront prises en vue des étapes suivantes. Lors de l’écoute,
le chef évaluera deux choses :
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1. l’écart entre le sens global qu’il a de l’œuvre et le son
produit par le chœur ;
2. les techniques nécessaires pour rallier ces deux éléments.
L’évaluation constante en répétition que fera le chef sera la source de toutes
les décisions qu’il prendra dans les minutes, les heures et les semaines qui
suivent.
Avant la répétition, le chef devra se faire une liste de
priorités qui l’aidera à mieux savoir décomposer en étapes simples
l’apprentissage d’une œuvre chorale Cette démarche est nécessaire si on veut
s’assurer que chaque élément de l’œuvre soit retenu lors de l’exécution finale.
Comme un architecte, le chef de chœur devra construire un monument sonore dont
l’édification serait impossible sans la connaissance des matériaux requis. Si
la complexité d’une œuvre réside principalement dans le langage harmonique, ce
sera cet aspect qu’il devra aborder en premier, avec des exercices qui aideront
les choristes à saisir les bonnes notes tout en les situant dans leur contexte.
Si par contre le rythme représente le défi principal, alors les exercices
aidant à la compréhension de la structure rythmique d’une œuvre deviendront la
priorité.
La question la plus souvent posée par mes étudiants est celle de
savoir par où commencer. Je leur dis que cela dépend surtout de l’œuvre et je
leur propose une série de questions à se poser :
1. Quel est le caractère rythmique de l’écriture (homorythmique,
contrapuntique, legato, leggiero, etc.) ?
2. Quel est le langage harmonique (tonal, modal, atonal, sériel,
etc.) ?
3. Quelle sorte de texture est employée ? (texture dense,
texture aérée, utilisation de divisi
ou de l’unisson, a cappella,
accompagnée, etc.)
4. Y a-t-il un lien entre les paroles et l’écriture musicale
(figuralisme, traitement syllabique ou mélismatique, etc.) ?
Ensuite, le chef le chef s’appliquera à rallier son sens global
de l’œuvre à la réalité sonore devant lui. C’est à cette étape que la raison
d’être du chef de chœur devient apparente : aider ses choristes à mieux
comprendre la structure de l’écriture d’une œuvre musicale afin qu’ils
apprennent, à la longue, à devenir plus autonome dans le processus
d’apprentissage. Une frustration partagée par mes étudiants en direction
chorale, souvent directeurs musicaux de chœurs amateurs, est celle d’utiliser
cette approche avec un chœur dont la majorité des choristes se disent
non-lecteurs. Et ma réponse est toujours la même : quelle meilleure façon
d’aborder la lecture à vue avec un chœur que celle de dévoiler devant eux les
composantes structurelles d’une œuvre chorale ? Combien de fois un chef de
chœur entendra que la lecture à vue intimide ses choristes ?
Toute œuvre est lisible. À la base d’une grande majorité
d’œuvres chorales de toutes les époques se trouvent plusieurs éléments communs
qui peuvent aider un choriste à comprendre la structure d’un motif, d’une
phrase ou d’un environnement harmonique quelconque. Parmi ces éléments se
trouvent, entre autres, la présence de relations intervalliques de triades, le
mouvement mélodique ou harmonique en duo ou trio, l’imitation, et le contour
disjoint ou conjoint d’une mélodie. C’est la responsabilité du chef de chœur de
simplifier une œuvre en la déconstruisant en répétition. Cette déconstruction,
faite en fonction des éléments ci-haut mentionnés, exigera qu’il travaille avec
les quatre pupitres à la fois. Ainsi, le chœur s’habitue à lire à quatre voix
et s’approprie le contexte harmonique et rythmique dès le départ. Par contre,
la technique d’isoler deux voix à la fois afin de faire remarquer certaines
relations musicales est la véritable clé pour faire comprendre la structure
d’une pièce. Plus l’écoute du choriste est portée vers ces relations, plus il
sera en mesure de reproduire l’exécution d’un motif ou d’une phrase. De plus,
la simplification du schéma rythmique, incluant la corrélation entre un rythme
et la déclamation des paroles, fera en sorte que le choriste puisse sentir le
sens plus large d’une phrase.
Nous ne sommes pas là pour compenser les lacunes des choristes,
mais pour les identifier et les aborder de façon structurée et simplifiée. Un
chef de chœur est là pour faciliter la compréhension structurelle d’une œuvre
et pour sensibiliser les choristes à être éveillés et conscients lorsqu’ils
chantent ensemble.
C’est dans sa poursuite de l’efficacité qu’un chef devra examiner
la pertinence de la technique de répétition choisie. Avant tout, le chef devra
être capable d’identifier les problèmes et choisir les exercices en
conséquence. Un mauvais choix pourrait nuire à toutes les étapes qui suivront
cette première étape décisive. Si le problème est une question de justesse,
travailler le placement des consonnes finales ne règlera pas la justesse. Pas
plus qu’on ne corrige une erreur rythmique avec un exercice de soutien
diaphragmatique.
C’est en grande partie l’expérience du chef qui déterminera s
capacité à trouver l’exercice le plus pertinent pour un problème. Trop souvent
un chef de chœur abandonnera un problème avant d’avoir trouvé sa solution. Il
craint peut-être que les choristes s’ennuient s’il insiste pour que le problème
soit complètement résolu avant de passer à autre chose. C’est ici que le chef
devra demeurer concentré et fidèle à sa vision de l’œuvre. D’abord, il se
demandera s’il a bien identifié la racine du problème. Si c’est le cas, il
devra revoir son plan afin de chercher d’autres exercices pouvant mener à sa
résolution.
Qu’il le veuille ou non, c’est le jugement du chef qui
déterminera la réussite de sa répétition. Il y a plusieurs questions que le
chef devra se poser avant la répétition :
1. Est ce que l’œuvre convient à l’ensemble ?
2. Est-ce que le chef connaît l’œuvre à fond ?
3. Est-ce que les techniques choisies en répétition aideront les
choristes à mieux comprendre la structure de l’œuvre ?
4. Est-ce que les démonstrations et les explications du chef seront
présentées soigneusement, avec le souci du détail ?
Peu importe le talent musical du chef, son jugement à toutes les
étapes de la préparation d’un concert demeure l’élément le plus important.
Une répétition efficace et fructueuse ira au-delà des simples
enchaînements. Toutes les connaissances du chef devront lui servir comme une
banque de données dans laquelle il pourra puiser les techniques et les
exercices qui assureront la compréhension profonde par ses choristes de l’œuvre
étudiée. Et c’est en réponse à ces principes qu’un chœur expérimentera des
moments dynamiques et inspirants lors de ses répétitions.
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