Choristes soyez fiers de votre chant : il est l’expression
de la liberté.
Une
foule bientôt
Répétera
la claire flamme à voix très douce
Pour
donner en tout lieu le baiser des vivants.
Et n’ayez pas honte de demander des subventions à nos
responsables politiques : la Culture et l’Éducation ne sont pas encore
passées de mode.
Article d’Elrik Fabre-Maigné du 10 janvier
2015
Après la sidération et l’horreur d’un
acte de guerre en plein Paris, de l’exécution de
journalistes-humoristes, sans oublier de représentants de l’ordre et de
simples particuliers, après l’inquiétude pour nos proches, après les
larmes et la colère, il est temps de se remettre à user de notre liberté
d’expression, de notre liberté tout court, que certains ont voulu
assassiner à la kalachnikov.
Cette liberté qui a été si chèrement conquise, au prix du sang souvent, par les générations qui nous ont précédés, pendant des siècles, n’oublions surtout pas qu’elle est très jeune dans l’histoire de l’humanité et qu’elle ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.
Surtout n’oublions pas que la meilleure réponse à l’obscurantisme, c’est la Culture.

Fernand Léger (1881-1955) avec l'autorisation de Madame Sylvie Seghers
Ariane Mnouchkine, une grande dame du théâtre français, disait il y a quelques années: « L'Art est toujours une lutte contre la barbarie ».
De tous temps, des « barbares »*, des fanatiques ont essayé d’assassiner la liberté d’expression, la liberté tout court. L’Histoire regorge de massacres au nom d’une idéologie, d’un dogme, d’une religion: les dictatures, les inquisitions, les croisades, s’en sont toujours pris en premier aux esprits libres, aux artistes.
Combien ont été sacrifiés sur l’autel de la haine et du totalitarisme: Federico Garcia Lorca, Miguel Hernandez, Victor Jara, Pablo Neruda, Vladimir Maïakowski, Ossip Mandelstam, Robert Desnos, Max Jacob, Marianne Cohn, Jean Prévost, Jean Sénac… et tant d’autres rien qu’au siècle dernier. Souvent dans le silence complice.
La seule différence aujourd’hui, c’est que l’information circule à la vitesse d’internet et que l’on ne peut plus dire, que plus personne ne peut plus dire: « Je ne savais pas ».
Les caricaturistes de Charlie Hebdo étaient (et restent) les héritiers d'une longue lignée, d'une tradition très ancienne et d'un art très prisé,celui de la satire, aucun sujet n'y échappant et surtout pas un sujet d'actualité. Mais ils n'obligeaient personne à les acheter ou à les lire.
Même s’ils choquaient certains, n’ayant pas de barrières à leur humour en bons libertaires, ils n’étaient que des dessinateurs dont le but était de nous faire rire, même jaune, rire et réfléchir, de nous dire comme Ernest Renan: « Il ne sert à rien de revendiquer la liberté si l’on ne commence pas par penser librement ».
Même s’ils étaient non-croyants pour la
majorité, ils ne s’attaquaient qu’à ceux qui détournent la religion, par
exemple, à des fins théocratiques; aux communautaristes de tout poil,
aux chantres de l’exclusion, du repli sur soi, de la préférence
nationale, au manichéisme obtus… N’en déplaise à ceux qui sont du côté
des forts, des riches, des maîtres, des grands, de ceux qui se sentent
suffisamment le vent en poupe pour entreprendre et conquérir, même s’ils
doivent faire au passage peu ou beaucoup de casse et fouler au pied
quelques droits légitimes...
Ils savaient que la liberté signifie la responsabilité; c’est pourquoi la plupart des hommes la craignent. Ils étaient de ceux qui en dessinant (comme d'autres en écrivant, en peignant, en chantant…), s’engagent corps et âme, de ces révoltés qui refusent de laisser bâillonner la Justice, garrotter la Liberté. Au risque de connaître la prison, l’exil, ou la mort justement.
Dans les yeux de Cabu qui m'a fait beaucoup rire avec ses dessins d'enfant potache, souvent féroces mais parfois empreints tendresse même pour les beaufs qu'ils croquait, j'ai souvent eu l'impression de voir passer une voile de tristesse, et je pensais à cette citation (que d'aucuns attribuent à Boris Vian) : "l'humour, c'est la politesse du désespoir" .
N’oublions jamais les Charlies, car ne pas comprendre que la liberté de la presse est un droit fondamental en démocratie, dont l’exercice comporte nécessairement des inconvénients, c’est démontrer que l’on est décidément réfractaire à la culture démocratique. Aujourd’hui, ceux qui murmurent entre leurs dents « ils l’ont bien cherché » ou tonitruent à ceux qui veulent bien les écouter « je ne suis pas Charlie » n’apprécient qu’une liberté soumise, politiquement correcte, dont ils se servent souvent pour faire passer des idées sales, mais refuser ensuite la critique; et la supprimer dès qu’ils le peuvent. Ou l’assassiner.
N’oublions jamais qu’un des plus grands titres de noblesse de la France à l’étranger, c’est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen; mais aussi la Poésie de la Résistance: jamais on n’a autant écrit de poésie en France que sous l’Occupation alors même que le papier était rationné, la censure omniprésente, et qu’écrire des poèmes engagés se faisait au risque de sa vie; les poèmes (et les chants) de la Résistance restituaient les dimensions tragiques de la douleur, de la colère, de la révolte de ces hommes et de ces femmes se battant pour faire vivre cette petite flamme tenue, la liberté de pensée, la liberté d’expression, la liberté tout court. Et ils nous disent toujours avec Pierre Seghers, auteur de remarquables anthologies, dont, bien sûr La Résistance et ses Poètes (France 1940-1945): « Jeunes gens qui m’écoutez et me lirez peut-être, pensez-y; les bûchers ne sont jamais éteints et le feu, pour vous, peut reprendre. Votre bonheur est à ce prix. ».
Passé les larmes et la colère, la meilleure réponse c’est de continuer à faire vivre la résistance quotidienne, en particulier dans l’Art, et de transmettre cet esprit rebelle à nos enfants. Car la liberté se gagne chaque jour, et c’est aussi une question de mémoire, d’hérédité.
Le jour d’après, à l’Instituto Cervantes de Toulouse, avait lieu la projection d’un documentaire de 52 minutes**, diffusé ensuite le samedi 10 janvier sur France 3 Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, sur la Familia Pradal dont l’engagement se perpétue depuis l’arrière-grand-père de Vicente qui était l’instituteur de Lorca, en passant par le grand-père député de la République espagnole et le père Carlos, grand peintre inspiré, jusqu’à Vicente et ses enfants Rafael et Paloma. Avec le talent que l’on connaît à ces beaux artistes.
Leur récital s’appelle Herencia, Hérédité: hérédité artistique certes, mais aussi hérédité de la mémoire vive, grâce à laquelle seule "l’aube dissoudra les monstres".
Dans ce film, Vicente Pradal explique fort bien cette lignée dont il porte le flambeau, et la visite de la maison de Lorca, où sont fils a joué sur le piano du poète une des partitions de celui-ci, cristallise superbement cet engagement culturel.
Jardinier de la terre qu'ont ensemencée ses ascendants et ses maitres, il sait que Poésie et Musique sont les deux ailes de l’âme, mais aussi, comme Lorca, que le véritable artiste est « plus proche du sang que de l’encre», il veut tout dire bien sûr
Des rosées de l’amoureuse
S’ouvrant à l’avenir
Mais aussi Des saisons de l’homme
Aux espoirs mutilés
Tout dire de la justice dressée
Comme l’arbre sous l’orage
Tout dire de l’enfant
Aux galoches de givre
Rêvant de magasins de jouet***
C’est pour cela qu’il réveille des échos oubliés dans nos cœurs tintinnabulants et qu’il a transmis son art à ses enfants.
Cette projection, dans l’émotion que l’on peut imaginer, m’a fait chaud au cœur, ainsi qu'aux nombreux public présent.
Ce soir, je pense tout naturellement à Liberté, j’écris ton nom, dont Paul Eluard racontait qu’il avait entrepris en 1942 d’écrire un long poème d’amour dont chaque strophe se terminait par « j’écris ton nom », et qui devait s’achever par le nom de celle qu’il aimait; mais c’est finalement le mot Liberté qui s’est imposé :
Par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
« Je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot Liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime, et ce mot Liberté n’était lui-même dans tout mon poème que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’Occupant » a confié Éluard.
Ce poème fut censuré, interdit, il aurait pu valoir au poète la prison ou pire, mais il fut reproduit à des milliers d’exemplaire et jeté du ciel par les avions alliés qui ce jour-là n’ont pas jeté de bombes.
Ce soir, je remplace juste occupant par assassins…
Plus que jamais, il faut dire comme Antonio Machado: « N’oubliez jamais, n’oubliez jamais ! Ce monde n’est pas viable si la force brutale au front de taureau est investie des pleins pouvoirs ! »
Ou comme le groupe de rock navajo BlackFire, qui dénonce la misère et la violence sur les réserves amérindiennes, proclamer que « le silence est une arme (silence is a weapon) », sous-entendant que se taire, c’est donner une arme à ses ennemis.
Et continuer à faire vivre « cet espoir à pleurer de rage d’un monde meilleur pour tous » (Nazim Hikmet).
En souhaitant au Grand Duduche (Cabu) d’avoir retrouvé Cab Calloway qu’il aimait tant et qu’ils swinguent en paix, libres, loin des cons et des salauds, je lui offre ces quelques vers d’Eluard encore:
Ils ignoraient
Que la beauté de l’homme est plus grande que l’homme
Ils vivaient pour ne pas penser
Ils pensaient pour se taire
Ils vivaient pour mourir
Ils étaient inutiles
Ils ne trouvaient de cœur qu’au bout de leur fusil
Nous oublierons ces ennemis indifférents…
…La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours, je te le dis,
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin
Une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille…
…Une foule bientôt
Répétera la claire flamme à voix très douce
Pour donner en tout lieu le baiser des vivants.
Elrik Fabre-Maigné
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