mardi 3 février 2015

Points-clef du travail vocal dans un chœur



Points-clef du travail vocal dans un chœur : le point de vue du phoniatre
Guy Cornut, phoniatre et chef de chœur
Atelier Sciences et Voix, Lyon, 21 février 2013

Introduction
Le problème de la formation vocale des choristes est un vaste problème…. Je me contenterai de donner quelques pistes, en fonction de ce que j’ai l’habitude de réaliser dans mon chœur

I. Pourquoi avoir été amené à se pencher sur la question de la voix dans le chœur ?
Je retracerai brièvement l’historique de ma démarche.

 - En 1952, à la suite d’un accident de voiture de notre chef de chœur, je me suis retrouvé brusquement propulsé à la direction de la Chorale Mixte Universitaire de Lyon où j’étais choriste depuis deux ans. Je n’avais aucune formation particulière pour résoudre les problèmes vocaux auxquels je me suis trouvé confronté, comme tout chef de chœur…. A cette époque, le travail vocal systématique était peu répandu dans les chorales et certains chefs de chœur se méfiaient même des voix dites « travaillées » qui risquaient de nuire à l’homogénéité des pupitres. J’ai fait comme j’ai pu…….
 - En 1954, je me suis orienté dans mes études médicales vers la phoniatrie et j’ai eu envie de mettre en pratique chez mes choristes ce que je découvrais sur le fonctionnement de l’appareil vocal. Mes choristes ont été, si j’ose dire, mes premiers cobayes et nous nous sommes en quelque sorte aidés et enrichis mutuellement. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs participé à ma thèse de médecine en 1958 dont le sujet était « La respiration dans la voix parlée et chantée »
- En 1963, j’ai crée l’Ensemble Vocal de Lyon que je dirige toujours actuellement et le travail vocal a toujours fait partie intégrante des répétitions. J’ai pris moi-même des leçons de chant avec divers professeurs, me suis lancé dans des formations annexes, comme par exemple la Méthode Feldenkrais et de ce fait j’ai progressivement affiné ce travail vocal dans la recherche permanente de la simplicité et de l’efficacité
 - Au fil des années, j’ai été amené à réaliser un travail vocal dans d’autres chorales que la mienne, (par exemple une chorale du troisième âge ou certaines chorales de base) ce qui m’a poussé à remettre en question certains exercices et en inventer de nouveaux pour répondre à la demande. Enfin depuis plus de 20 ans je fais périodiquement travailler un chœur de renfort qui se joint à l’Ensemble Vocal de Lyon pour interpréter certaines œuvres qui demandent un plus grand effectif. Il m’a fallu là aussi trouver des exercices simples et efficaces.
Ma démarche pédagogique a été et demeure en perpétuelle évolution. J’essaie toujours d’établir un lien entre mes connaissances de médecin phoniatre et mon travail vocal pratique de chef de chœur. C’est là me semble-t-il que ce situe l’originalité de ma démarche.

 Actuellement, le travail vocal au sein de l’Ensemble Vocal de Lyon se répartit suivant divers axes :
 . Les répétitions hebdomadaires commencent par un quart d’heure de travail vocal. (Je n’aime pas beaucoup le terme « d’échauffement vocal »)
 . Une fois par mois, chaque pupitre a une répétition de pupitre d’une heure et demie orientée sur le travail vocal dans les passages délicats des partitions. Au cours de ces répétitions, chaque choriste doit chanter seul ou à deux ou trois, pour développer une certaine autonomie.         Je m’efforce de donner des conseils appropriés à chacun en particulier. Le fait de chanter seul a été difficile pour certains au départ. Maintenant, c’est devenu presque banal et les choristes ont pris l’habitude de s’écouter d’avantage les uns les autres, sans se juger.
 . Lors des week-ends musicaux, je fais faire un travail vocal d’au moins une demi-heure par jour, le samedi en début d’après-midi puis le dimanche matin, en centrant le travail sur un point particulier qui peut ainsi être travaillé plus en détail. Je fais de préférence travailler séparément les femmes et les hommes, en demandant à ceux qui ne chantent pas d’écouter soigneusement les autres. Je fais aussi souvent travailler séparément et brièvement chaque pupitre. L’écoute des autres est source de progrès, s’il n’y a pas bavardage pendant la période d’écoute!
. Enfin, mais c’est seulement depuis deux ans, je fais travailler les choristes qui le souhaitent par groupe de trois, une à deux fois par mois. Je connais donc très bien la voix de chacun de mes choristes…..

II. Quel est la finalité du travail vocal dans le chœur ?
 Le but n’est pas de former des chanteurs solistes, ce qui demande un long travail individuel, mais d’essayer d’améliorer les performances vocales de chaque choriste non seulement pour améliorer la qualité du chœur mais aussi pour faire en sorte que les choristes découvrent leurs propres possibilités vocales et ressentent plus de plaisir à chanter.

Quels sont les points clefs :
 - Partir de la voix spontanée et essayer d’en tirer le meilleur parti tout en sachant que l’amélioration sera progressive. Il n’y a pas de baguette magique !
 - Il est souhaitable de faire petit à petit prendre conscience des « gestes » corporels utilisés pendant l’émission vocale :
            . L’attitude corporelle
            . Le mouvement respiratoire,
            . Les mouvements divers au niveau du cou, du visage, des lèvres, de la mâchoire etc.
La plupart du temps, les choristes n’ont aucune conscience par exemple de l’ouverture buccale ou de leur attitude cervicale en chantant.
 - Parallèlement, et c’est souvent le plus difficile, découvrir et ressentir l’impact produit par le son dans le corps (vibrations dans le thorax, résonance dans la tête) C’est une notion nouvelle pour des choristes que de découvrir la « place » du son
 - Relier ces informations à l’écoute du son par l’oreille. Comprendre qu’un son de bonne qualité est ressenti dans le corps d’une manière différente d’un son de mauvaise qualité, forcé par exemple.
 - Enfin, diminuer au maximum les tensions musculaires excessives qui sont la source de fatigue vocale et d’une mauvaise qualité sonore.

III. Méthode employée
 Il ne s’agit pas d’une méthode. Je souhaiterais simplement définir les grandes orientations du travail vocal tel que je le pratique dans un chœur. Ces orientations correspondent à ce qui me semble essentiel dans le fonctionnement vocal. J’essaierai pour préciser ma pensée de faire référence aux notions physiologiques et acoustiques de base qui sous-tendent ce travail, tout en restant aussi simple que possible.

1. Dans le travail vocal, il faut privilégier ce qui se passe en dehors du vibrateur laryngé proprement dit.. C’est ainsi que dès le départ je fais appel à la notion de résonance, non pas en donnant des notions théoriques mais en orientant l’attention du chanteur sur cette perception de la résonance.
Pour vous, je me permets de préciser brièvement cette notion de résonance qui n’est peut-être pas familière à tous. Le son produit par la vibration des cordes vocales ne devient « voix » que parce qu’en passant dans les résonateurs (arrière-gorge, cavité buccale et éventuellement conduit nasal) il fait vibrer l’air contenu dans ces cavités. Cette « résonance » transforme le son laryngé et l’enrichit des fréquences propres des cavités, tout comme la résonance de l’air contenu dans la caisse du violon  enrichit le son produit par la vibration des cordes sous l’action de l’archet et crée le timbre spécifique du violon.
                         . 1 - La qualité de la voix dépend beaucoup de l’action acoustique des résonateurs qui amplifient et modifient le son produit par le larynx.
                         . 2 - La vibration de l’air contenu dans les résonateurs se transmet aux parois des cavités et cette résonance peut donc être perçue « de l’intérieur » par celui qui chante. C’est la notion de « place » de la voix, qui correspond en réalité à la perception interne coenesthésique et kinesthésique pendant la production du son. Cette notion de « place du son » qui est souvent développée par les professeurs de chant peut aussi être utilisée chez les choristes.
                         . 3 – Cette « résonance » peut être modifiée par les mouvements des organes d’articulation : mâchoires, langue, mimique du visage, position des lèvres etc.….
                         . 4 – Une bonne « résonance » a une action bénéfique sur la vibration laryngée et entraine donc une émission vocale plus facile avec moins d’effort.

 2. Prise d’air et soutien du son par le mouvement expiratoire.
                         . 1ère notion fondamentale. Dans la vie courante, la prise d’air est un acte réflexe et s’adapte automatiquement aux besoins respiratoires. Dans la voix chantée, il faut s’efforcer de ne pas remplacer ces réflexes par des actes trop volontaires qui ne sont pas adaptés. Par exemple, si l’on fait une longue expiration sur une grande phrase musicale, à la fin du son apparaît un « réflexe inspirateur » qu’il ne faut pas bloquer mais plutôt ressentir comme une « évidence intérieure ». Donc laisser l’air rentrer plutôt que le forcer à entrer…
                         . 2ème notion fondamentale. Contrairement à ce que pensent beaucoup de choristes, il n’est pas nécessaire, ni même souhaitable, de prendre beaucoup d’air avant de chanter. Si on fait une trop grande inspiration, on déclenche automatiquement un réflexe expirateur qui entraine souvent une grande perte d’air au début du son.
                         . 3ème notion fondamentale. Le débit d’air et la pression du souffle doivent être soutenus pendant l’émission d’un son mais pas en force. Il n’est pas évident de faire découvrir cette notion de « soutien » respiratoire, d’autant plus que ce soutien, tout en étant permanent, doit s’adapter aux variations d’intensité et de tonalité. Ce soutien doit être ressenti plutôt que commandé volontairement car il devient alors souvent inadapté, excessif ou insuffisant.

 3. Les registres.
Pour varier la hauteur tonale, le larynx utilise des mécanismes différents pour les sons graves et pour les sons aigus. Les termes classiques utilisés sont : voix de poitrine et voix de tête, en référence aux lieux des sensations que ressent le chanteur pendant l’émission vocale. Il existe des différences notables entre les hommes et les femmes dans ce domaine.
                         . 1- Chez l’homme, la voix de poitrine est celle qui est utilisée spontanément dans la voix parlée. Ce mécanisme apparaît donc tout naturellement quand on chante, mais pour aller dans l’aigu il doit se modifier.
Cette modification peut se faire en changeant brusquement de mécanisme et en passant dans la « voix de tête » qu’on appelle chez l’homme « voix de fausset » ou « falsetto ». Beaucoup de basses ou de barytons montent en voix de poitrine jusqu’à Ré 3 ou Mi bémol 3 en « poussant » un peu les dernières notes puis à partir de Mi bémol 3 ne peuvent plus monter ou passent en « falsetto » . Il y a donc à ce niveau une cassure.
            Cette modification peut se faire plus progressivement. Tout en restant dans la « voix de poitrine » le son se transforme, s’allège, en se rapprochant un peu de la couleur de la voix de « falsetto ». On parle alors habituellement de « voix mixte ». Les bons ténors utilisent cette manière de faire.
                      . 2 – Chez la femme, la voix spontanée utilisée en voix parlée est plutôt la voix de tête, qui est donc celle qui apparaît tout naturellement quand on chante.
Les sopranes passent peu en voix de poitrine du fait qu’elles descendent rarement au dessous du Ré3.
Les alti par contre se trouvent confrontées, souvent à leur insu, au dilemme de choisir entre voix de poitrine et voix de tête dans les notes graves de leur tessiture au dessous de Ré3 et, qu’elles le veuillent ou non, qu’elles en soient conscientes ou non, changent souvent de registre, ce qui pose des problèmes d’homogénéité de chaque voix et du pupitre dans son ensemble.
Au fur et à mesure de la montée de la gamme, ce mécanisme de voix de tête se modifie :
            . entre Mi bémol 4 et Fa 4, se produit un changement de couleur de la voix en relation avec une modification des phénomènes de résonance (on parle de « 2ème passage résonantiel »
            . vers Si bémol 4,  donc tout en haut de la tessiture, apparaît le passage dans le « troisième registre », qui correspond à un changement au niveau des muscles laryngés.
          
            Pour faciliter ces divers passages, il est très important de supprimer au maximum toutes les tensions musculaires excessives au niveau du cou (attention à ne pas avancer le menton !) des mâchoires (desserrer les mâchoires au fur et à mesure de la montée de la gamme) de la langue (souvent trop en arrière) pour que le fonctionnement des muscles laryngés, que l’on ne peut pas commander volontairement, se passe avec le maximum de souplesse et pour que les résonateurs restent largement ouverts. Dans le travail vocal que je préconise, cette lutte contre les tensions inutiles est très importante.
          
            4 – La voix préexiste à tout apprentissage, voix parlée bien sûr mais aussi voix chantée. Pour moi, le problème de l’éducation vocale n’est pas d’apprendre à tout contrôler pour obtenir une bonne voix mais bien plutôt à retrouver dans la voix chantée le fonctionnement vocal libre que l’on avait dans l’enfance et que l’on retrouve dans certaines activités telles que le rire, les cris de joie, les exclamations de surprise …..et simultanément de faire affleurer à la conscience les sensations auditives et coenesthésiques sous-jacentes à cette activité vocale libre.
Le travail vocal doit plutôt être présenté comme des jeux vocaux que l’on fait avec plaisir, comme en s’amusant, tout en restant très présent à ce que l’on fait.

Bibliographie

- La voix, collection "Que Sais-je?" Guy Cornut  PUF
- Moyens d'investigation et pédagogie de la voix chantée. Coordination Guy Cornut. Symétrie: www.symetrie.com
- Atlas vidéo-stroboscopique des principales pathologies laryngées bénignes. Guy Cornut-Marc Bouchayer. De Boeck-Solal

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