Dans le car qui nous ramène de Saumur,
discussions…passent évidemment en revue les éternelles questions sur les
choristes et le chef, l’apprentissage, l’interprétation, …
Après un beau concert final qui clôturait une
heureuse rencontre avec la chorale qui nous avait invités, forcément on discute
des pratiques de chacun, ce qui peut donner l’occasion de continuer de progresser
en s’appuyant sur quelques réflexions motivées par notre expérience toute
fraîche.
Un sujet qui, bien que central, ne me semble
pourtant pas regardé d’assez près, est celui de l’interprétation. Mais
disons-le d’abord : on ne peut entrer sérieusement dans les questions
relatives à l’interprétation que si l’on considère bien qu’un apprentissage
suffisamment solide de chaque chant constitue en quelque sorte la toute
première et indispensable étape de l’interprétation. On ne pourra réellement
progresser dans l’interprétation que si l’on sait ses chants sur le bout des
doigts – quasi par cœur (ce qui
n’exclue nullement l’assistance d’une partition discrètement à disposition de
nos yeux) – faute de quoi on ne les chantera jamais que …du bout de la langue.
Je propose de dire ceci : on ne peut aborder
les questions de l’interprétation que si l’on a d’abord fait une distinction radicale entre la partition et le chant
lui-même. J’ai par exemple l’habitude de dire à mes choristes : votre
chant n’est pas dans la partition ;
cessez donc de l’y chercher ! Cessez de lire, cherchez à é-cou-ter.
Avant même d’être discutée, cette question demande
évidemment à être posée d’une façon plus complète. Je me propose seulement ici
de vous proposer une première image en espérant qu’elle vous parle. Chacun de
vous ayant l’expérience, dès qu’il a passé son permis de conduire, de la
distinction entre le code et la conduite, examinons comment cette
distinction peut assez simplement nous aider à distinguer quelque chose de
semblable pour le choriste – et même, très généralement, pour tout musicien.
Finalement, le musicien, avant d’interpréter un morceau, n’aurait-il pas à
passer d’abord (au sujet de ce morceau) son
code et sa conduite ?
Quelles seraient les analogies entre les deux situations ?
Entre la situation du conducteur de la
route et celle du conducteur …de la
musique ? Remarquer déjà que la notion de conduire une musique a déjà une certaine existence ; on parle
de conduire une phrase musicale, certaines langues utilisent le mot de conducteur pour parler du chef d’orchestre.
Pour aborder toutes ces questions avec clarté, il me
semble que la toute première chose consiste à bien comprendre ce qu’est une
partition ; de quoi il retourne lorsque nous commençons l’apprentissage
d’un morceau, que nous soyons choriste, chef de chœur, instrumentiste, chef
d’orchestre, … : il s’agit de se saisir d’une partition.
Qu’y a-t-il donc sur une partition ?
Réponse : des signes.
C’est-à-dire ?
Des symboles qui renvoient à quelque chose d’autre qu’eux-mêmes.
Ces symboles parlent à nos vue – et seulement à notre vue. Ce à quoi ils
renvoient parle à notre ouïe – et seulement à notre ouïe.
Et quel est le statut de ce renvoi : c’est
celui d’un code.
C’est-à-dire ?
Un code met en relation deux choses de nature
totalement différente d’une façon
conventionnelle ; totalement conventionnelle, c’est-à-dire totalement
arbitraire. Certes, on a pu faire ce choix pour telle ou telle raison
pratique ; néanmoins, dans l’absolu, on aurait pu faire un choix tout
autre : cela n’aurait rien changé au principe : il n’y a pas de lien réel, véritable entre les deux choses, il n’y a qu’un lien par convention.
Prenons tout de suite un exemple évident au sujet de
la représentation des notes de la partition.
On a donné à la note (au symbole) placé sur la
deuxième ligne le nom de sol. C’est
une convention. Mais ce n’est qu’une convention et elle n’est d’ailleurs telle
que si en tête de la portée on a placé une clef
de sol.
Ce mot de clef
le dit bien : il faut une clef
pour déterminer le nom de toute note placée sur une portée. Les basses ont
souvent leur partie écrite – codée –
en clef de fa : la deuxième ligne sera donc à lire autrement, avec un
autre code (sachant que la clef de fa est axée sur la quatrième
ligne, je vous laisse faire l’opération mentale …) : ce sera un si.
Encore ne s’agit-il ici que d’un code entre la place du symbole sur la portée et le nom de la note. Peu importe, mon but était ici simplement d’entrer
dans cette logique du codage, logique qui va s’appliquer aussi pour le lien que
l’on voudra établir entre le nom de
la note et le ton par laquelle cette
note sera chantée et entendue.
Par exemple lorsque l’on frappe un diapason, tout un
chacun entend un ton – qu’il peut
chanter, c’est-à-dire reproduire avec sa voix – et, par convention, on a
associé à ce ton le nom d’une
note : la.
Là aussi il s’agit d’une chose totalement
arbitraire ; mais il fallait bien ce code,
ce codage du ton, si l’on voulait que
des personnes habitant des lieux éloignés accordent leurs instruments de la
même façon ; donc puissent donner au même ton le même nom.
La partition n’est donc d’une certaine façon qu’un
ensemble de symboles disposés sur une portée. Ces symboles sont vus par le
musicien comme des codes qui renvoient à des éléments musicaux : tons, rythmes, nuances, etc.
L’ensemble de ces codes est répertorié dans le solfège. Celui qui veut être
capable de lire une partition doit donc commencer par apprendre le solfège, par
connaître le sens de chaque code.
Supposons qu’il ait réussi à apprendre toutes les
règles du solfège ; cela fera-t-il de lui un musicien, en tout cas
quelqu’un capable de jouer ou de chanter de la musique à la vue d’une
partition ? Nous répondons : non. Pourquoi ?
C’est ici que notre analogie avec la conduite d’un
véhicule nous semble utile.
Est-ce qu’une personne qui connaîtrait parfaitement
le code de la route – sans plus – serait un bon conducteur ? Évidemment
non.
Chacun sait qu’il faut aussi suivre des cours de
conduite. À quoi servent ces cours ? À apprendre à mener son véhicule à
bon port quelles que soient les circonstances de la route et de la circulation,
en particulier à gérer sa conduite au sein du flot des véhicules menés par les
autres conducteurs. Ne cherchons pas d’analogies trop précises entre cette
situation et celle du choriste cherchant à chanter sa partie parmi les autres
choristes. Néanmoins remarquons une chose essentielle : même si l’on
connaît parfaitement le code (celui de la route comme celui de la musique) ce n’est
pas cela qui nous dira ce qu’est une conduite harmonieuse !
Même si c’est le chef de chœur qui donne les
indications sur cette conduite du chant, il faut bien que le choriste le suive
sur ce terrain, qu’il comprenne que l’on recherche telle ou telle conduite, et
qu’il ne croie pas que parce qu’il connaîtra parfaitement les notes de sa
partition (son code) il sera en mesure de produire quelque chose comme une réelle
interprétation.
La partition, il faut la savoir (comme il faut
connaître son code) mais il faut d’une certaine façon savoir l’oublier pour entrer
dans la musique ; exactement comme un bon conducteur connaît
évidemment parfaitement son code de la route mais sait l’oublier pour entrer dans la logique de la conduite
effective.
À suivre